Caroline Charrière
Caroline Charrière

La musique de Caroline Charrière, par Jean-Michel Hayoz

›Une approche

Ecrivant sur la musique, quelle qu’elle soit d’ailleurs, je me réfère volontiers à une formule du philosophe de l’art André malraux, selon laquelle « une œuvre d’art n’est jamais limitée par les intentions de son auteur ». Par conséquent, c’est sur ce que j’entends dans les œuvres de Caroline Charrière, dont il est question ici, que j’esquisse mes commentaires et non sur une autopsie de ce que la compositrice a souhaité coucher sur le papier à musique.

Mes clés pour apprécier une musique sont les suivantes : pour être cohérente et révéler sa valeur, une œuvre musicale doit, à mes yeux, répondre à trois conditions essentielles au moins : elle doit être à la fois « vraie », « juste » et « nécessaire ». Par « vraie », j’entends que la musique doit être née à la fois d’une intuition créatrice personnelle, c’est-à-dire d’une étincelle, d’une « chiquenaude » de la conscience au cœur de l’artiste et d’un souci immédiat de lui donner une forme communicable à n’importe quel mélomane. Par « juste », j’entends une oeuvre écrite avec rigueur, que ses canons soient acquis dans des classe d’écriture au conservatoire, qu’ils le soient à l’étude de partitions de compositeurs aimés ou qu’ils soient conçus de toute pièce par l’auteur pour réaliser un projet entièrement original. Autrement dit, la notation doit être lisible, de sorte que l’interprète sache la jouer. Par « nécessaire », j’entends que faute de cette musique, l’humanité serait en quelque sorte privée d’une œuvre nourricière dont elle avait besoin.

Me familiarisant avec nombre de compositions signées Caroline Charrière, j’ai le sentiment qu’elles répondent à mes critères. J’y découvre en effet la vérité d’ébranlement de l’affectivité humaine et l’aspiration à une spuritualité mystique hors de tout dogmatisme religieux, autant d’élans qui vont toucher à leur tour, avec immédiateté, le cœur et l’esprit des auditeurs.

J’y découvre la solidité d’un discours musical conduit avec rigueur, donc une écriture juste et sobre et des formes claires. S’y ajoute une autre facette de cette justesse : le respect dû au traitement des instruments et du chant. Pas d’acrobaties instrumentales, pas de contorsions, d’intervalles distendus, d’intonnation difficile dans les solos vocaux et les choeurs, pas de chaos rythmiques incongrus, mais plutôt des mélismes dessinés en notes conjointes, plutôt de larges périodes de flux rythmiques en ostinatos.

Quant aux cheminements harmoniques, ils rappellent sans doute les compositeurs du vingtième siècle qui n’ont pas renoncé au « fil rouge tonal », tels que Franck Martin et ses chromatismes ou Honegger et Dutilleux avec leurs savoureuses dissonances. Un public, effarouché dès qu’on évoque certains contemporains, n’a rien à craindre en l’occurrence.

Caroline Charrière, en dépit d’influences telles que tout compositeur en a acceptées à toute époque de l’histoire de la musique, a suivi et continue de suivre son propre parcours stylistique. Elle obéit à sa nature profonde, un rien introvertie, secrète, poétique jusqu’au lyrisme, émotive, exaltée ici ou là, ou encore meurtrie, révoltée, mais aussi consolatrice sans pour autant tomber dans un sentimentalisme larmoyant. C’est en cela que ses oeuvres sont pour les auditeurs, un apprentissage précieux des sentiments qui les animent avec naturel et que par conséquent elles sont « nécessaires » à qui veut s’enrichir de savoir humain.

Jean-Michel Hayoz est ancien directeur du Conservatoire de Fribourg

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